Souvenir Austral
- Martin Perrin
- 19 nov.
- 2 min de lecture
“Vous êtes malade ! me disait-on. Admettez-le une fois pour toute. Et apprenez à vivre avec. C'est votre seule option.”

***
La maison était vide, emplie par le chant des criquets. L'été s'en était allé. Restait seulement une tiédeur étrange. Dans mon esprit le souvenir de l'hiver, de l'Europe, ses paysages, ses forêts. J'avais vingt deux ans, bientôt vingt trois. J'arborais un désespoir, une lassitude et des regrets à foison.
C'était la nuit. Le quartier était plongé dans une profonde anesthésie. De temps à autre, une voiture vrombissait au loin. Je veillais. Les yeux ouverts, j'attendais. J'attendais l'inattendu, une lueur, un appel, un ami… En vain. Mais je n'en démordais pas.
J'étais loin de chez moi, et cette distance m’écorchais l'âme. J’étais parti, il y avait trop longtemps déjà, et pour des raisons obscures. Je m'étais laissé tracter, tirer sur une trajectoire floue mais imparable. J’en étais là, à ne plus trop savoir, affalé dans la fraîcheur du soir. Et comme toujours, je finissais par me lever, pour errer jusqu'à ma chambre, jusqu'à mon lit, pour me noyer dans l'inconsistance d'un sommeil lourd et chaud.
J'avais le cœur pris dans des luttes froides, agité par ces temps qui couraient. Immobile, j'étais triste. Je n'avais plus la ressource. J'aurais bien voulu me reprendre, échafauder des plans de bataille. Mais j'avais la tête ailleurs, l'esprit plein d'un rêve qui n'avait pas encore pu se faire jour. Sous le ciel sans étoiles, bourré de nuages, je prenais finalement congé.
Mon emploi du temps se recroquevillait. La fraîcheur des matins n'était qu'un souvenir égaré. Chaque jour, l'oeil hagard, je quittais à contrecœur la douceur de mes draps, pour flotter sur mon quotidien. J'étais un fantôme, perdu entre les mondes, perdu dans l'existence. Étais-je un reflet de ce temps gris et poussiéreux que ma fenêtre laissait entrer? Non. Même les cieux les plus bleus n'y aurait rien fait. Seule la musique qui berçait le creux de mes oreilles, de temps à autre, m’allégeait d'un poids aussi pénible qu'incompréhensible.
Par certains jours d'éclaircie, l'illusion d'un réveil finissait tout de même par éclore. Tel une fleur qui s'entrouvre, je humais le soleil. Je m'en imprégnais. La légère fraîcheur de l'air me réanimait lentement. Sûrement cela ne suffirait-il pas. Je profitais néanmoins de ces moments de répis pour rêver à nouveau.
Avant tout, j'en venais à spéculer sur les origines du néant que je devenais peu à peu. Je passais au crible tout ce qui me prenait à rebrousse poil. Je m'acharnais à vouloir déceler une brèche dans la logique bien huilée de mes médecins.
Leurs discours, si professionnel, si dénué de sensibilité, m'avait brûlé les nerfs à vif. À tel point que je m'étais laissé partir en croisade. Contre qui? Contre quoi? Personne ne sait vraiment. Je co-opérais avec les médecins et me confondais d'excuses quand mes mots laissaient transparaître l'âpre amertume qui me consumait. Je n'arrivais juste pas à avaler leur logique, leur diagnostic, et leurs médicaments…


Commentaires